OCTOBRE 2020

Avec Adrien, nous voici invités au festival Sonoptik à Toulouse par Mix’Art Myrys pour un duo, musique et dispositif sonore ambisonique.
Nous nous retrouvons dans cet immense hangar dédié à la création artistique. S’y trouve des salles équipées pouvant recevoir du public, des ateliers d’artistes, un hackerspace, un espace cuisine, des salles d’exposition, des caravanes sur le parking.
Nous sommes une vingtaine pour l’évènement, nous nous présentons et décrivons nos désirs artistiques pour ce festival.
L’intendance est collective, les tours de cuisine sont à prendre sur un tableau.
Avec le camarade nous nous installons dans une salle que nous partagerons avec une musicienne.
La création à laquelle nous nous attelons demande beaucoup de matériel; de nombreuses enceintes surtout. Mais tout y est installé.
Au cours de la journée les rencontres fusent. Les discussions sur l”informatique libre vont bon train et m’ouvrent l’esprit quant à la musique libre.
Comme je travaille avec des percussions-objets un camarade m’offre un pot en terre, résultat de sa reconversion dans la poterie.
Comme je travaille autour des bruits un camarade prend deux heures pour me parler de ses quarante années à composer de la musique électro-acoustique.
Comme je travaille en lien avec les arts visuels une camarade me fait visiter les ateliers d’arts plastiques et m’invite à rejoindre son espace pour discuter de ses créations.
Suite à des obligations je pars le lendemain mais les rendez-vous sont pris avec les camarades motivé.es, nous reviendrons prochainement pour continuer la construction de notre proposition musicale.
Quelques semaines après je reçois les défraiements et une proposition de paye pour une vidéo réalisée cette première journée.

Mais quelques mois après le lieu ferme.
Le collectif Mix’Art Myrys demandait depuis de nombreuses années du soutien à la ville pour des travaux importants nécessaires à la sécurité de ce lieu artistique emblématique de la région.
La ville de Toulouse, qui soutenait financièrement Mix’Art Myrys depuis des années, envoie une commission sécurité et demande la fermeture administrative du lieu, qui sera effective quelques mois après.

Malgré les tristesses et la colère, le duo tient bon, et nous cherchons à retrouver ces énergies collectives qui, comme à Mix’Art Myrys, nous ont permis de faire nos métiers.

“MIXART MYRYS était un lieu-projet d’ateliers et résidences d’artistes organisé en collectif autogéré. Depuis 1995, le projet se façonnait par ceux qui le traversaient et le faisaient vivre, avec un continuum : expérimenter la démocratie directe et la prise de décision collective, l’engagement de l’artiste vis-à-vis de son outil de production, de son contexte de création et de diffusion, pour assurer à l’art, à l’artiste, au spectateur, à l’habitant un contexte de liberté fertile.” www.mixartmyrys.org

 

LA RUE, OU L’ESPACE PUBLIC

Nous sommes en juin 2021, les festivals reprennent. Avec une compagnie, nous sommes de nouveau dans la rue, et cette fois pour un spectacle déambulatoire.

La création proposée a débuté il y a maintenant deux années, les premières dates de représentation étant prévues en juin 2020.

Nous sommes dans le 20ème arrondissement de Paris et nous répétons devant une école pour l’instant. A l’heure de la sortie des classes les enfants et les parents nous demandent avec de grands sourires quand est-ce que se passera le spectacle. Après quelques mots les rendez-vous sont pris.

Les organisateurs sont, d’un côté un indépendant des arts de la rue, de l’autre la mairie de Paris. Ils s’occupent chacun de l’organisation d’une représentation dans le même lieu mais à un intervalle d’une semaine.

Les jours passant et les dates approchant, il est nécessaire pour la compagnie de répéter dans des conditions réelles, à l’endroit où se déroulera l’évènement, c’est à dire au milieu des rues et à la place des voitures.

Mais pour un manque de moyens d’un côté, un manque d’organisation de l’autre, le blocage des rues n’est pas assuré. Les habitants ne sont pas bien informés et le blocage de la circulation n’est pas pris en charge.

La compagnie n’a d’autre choix que de gérer elle-même la situation, et ses membres, suivant leur ancienneté dans les arts de la rue, en ont plus ou moins l’habitude. Les riverains ont beau être compréhensifs, la tension monte.

Les amis et camarades sont appelés pour nous soutenir, ils s’occuperont des points de blocage et devront répondre aux menaces et aux insultes de certains automobilistes souhaitant rentrer chez eux.

Après les spectacles nous ramenons nos véhicules aux lieux de démontage : le local du parti communiste français du 20ème d’un côté, de l’autre une salle d’une maison de retraite située quelques rues plus loin. Sur la route nous recevons des remerciements de la part des habitué.e.s des cafés et restaurants pour avoir participé à la vie du quartier. Grâce aux applaudissements du public je sens une forme de soulagement, ce que nous mettons en place a toujours de la valeur pour certains et certaines.

Mais le constat est difficile. Comme l’exprime clairement l’équipe technique, la compagnie ne peut pas continuer dans ces conditions. Cela nous met chacun face à de grands risques et cela rend les tensions internes ingérables, celles-ci sous-tendues par de mauvaises conditions financières.

En juillet 2021 la compagnie a peu de perspectives d’avenir concernant les possibilités de représentations. La seule date de représentation programmée est annulée suite à la mise en place du passe sanitaire. La forme déambulatoire, de par sa nécessité de mouvement et de son immersion dans l’espace public, et de par son inscription dans la logique de gratuité des arts de la rue, s’articule difficilement avec les décisions gouvernementales.

 

MUSIQUE ET ORGANISATION

Pour travailler la musique convenablement , il ne faut pas de voisins… ou alors des voisins qui supportent d’entendre le travail musical. Il se trouve que l’appartement ne peut souvent pas remplir cette fonction.
Si la maison n’est pas accessible, les solutions provisoires peuvent être d’accepter une relation conflictuelle avec ses voisins, ou alors d’investir dans des instruments électroniques dits d’appartement. Mais ces derniers sont chers et ne permettent pas de remplacer efficacement les besoins liés aux instruments acoustiques. Les caves apparaissent parfois comme des solutions…

Pour générer une énergie collective, indispensable pour construire une proposition musicale cohérente, il est nécessaire de pouvoir accueillir plusieurs musicien·ne·s et donc de disposer d’un lieu ressemblant à un studio de répétition. Si une pièce est disponible, les problématiques liées aux volumes sonores élevés, au matériel nécessaire pour une répétition (amplificateurs pour les guitares, sonorisations diverses, batterie…) et à l’espace disponible sont souvent difficiles à résoudre. La solution à ce manque d’espace pourrait être de louer des studios de répétition, mais ceux-là sont chers pour pouvoir y passer le temps souhaité.

Pour promouvoir les musiques, il est nécessaire d’avoir des enregistrements audio de qualité, mais pour cela il faut avoir accès à une technologie coûteuse qui ne peut être utilisée que par un·e ingénieur·se du son. Surtout, le support vidéo étant un support privilégié aujourd’hui, il est nécessaire d’avoir des vidéos de présentation. Ceci peut être réalisé de manière autonome en faisant preuve d’organisation, mais peut difficilement s’harmoniser avec les besoins qualitatifs de ce qui est majoritairement diffusé sur Internet lorsque l’on dispose de peu de moyens financiers.
Les caméras de bonne qualité sont chères, et une captation vidéo de qualité doit être réalisée avec au moins un·e vidéaste aguerri, sans compter le travail de postproduction qui est, lui aussi, coûteux.
De plus, pour pouvoir mettre en place une vidéo de qualité, il est nécessaire de disposer d’un lieu adéquat comme une salle de concerts, d’un théâtre, pour bénéficier de la disposition de la scène, des installations lumières, de l’acoustique de la salle.

Pour vendre un projet musical, il est très souvent nécessaire d’avoir un matériel de promotion efficace et des contacts au sein des structures culturelles pour parvenir à négocier avec des directeurs·rices de salles.
Si ce n’est pas le cas, il faut alors se diriger vers des lieux non essentiellement artistiques, ni spécialement culturels, comme les bars et les restaurants. Les gérant·e·s considèrent souvent la musique comme un moyen d’attirer un public qui deviendra une clientèle du lieu de restauration. Le public ne paie donc souvent pas de ticket d’entrée, ticket qui pourrait assurer la rémunération du groupe musical. Il vient alors une négociation sur le pourcentage de la recette du bar-restaurant qui est alloué aux musicien·ne·s pour la soirée. Très souvent, le pourcentage est minime et, souvent, l’équipe du restaurant part du principe que les accepter dans leur lieu, leur fournir un repas et des boissons, et leur permettre de « passer le chapeau » est un soutien amplement suffisant.
La plupart du temps, les sommes versées sont dérisoires, non déclarées, et ne permettent pas aux musicien·ne·s, même s’ils sont organisés administrativement (en lien avec une association culturelle principalement), de payer les cotisations nécessaires, entre autres, à la réalisation d’une rémunération légale.

 

SYMPATHIE EN MUSIQUES IMPROVISÉES

J’aime la musique. Je la joue en percussions.
Guidé par cet amour et par ma jeunesse, je suis les préceptes de mes modèles musicaux : les professeurs du conservatoire. Après avoir pris plaisir à ouvrir mes oreilles et à libérer mon corps, il se trouve que l’on me demande finalement de ne pas trop m’ouvrir et de ne pas trop me libérer.
En effet, me dit-on, il faut conserver la bonne culture, la culture vraie, celle qui sert de terreau à l’Art : la culture classique avec ses orchestres et sa musique de chambre.
C’en est bientôt trop pour moi, je fuis.

Dans mes errances, je sympathise avec les musiques improvisées. Pour ce qui est de l’emploi, il n’y a pas grand-chose à en dire.
Je m’adresse à la CAF, qui m’assure un revenu, mais pas vraiment en qualité d’artiste.

Que faire alors ?
Tout d’abord, il faut répéter, à plusieurs de préférences, ce qui est compliqué lorsque les lieux artistiques ouvrent difficilement leurs portes et que les prix de location de studios équipés sont bien trop élevés.
Ensuite, lorsque la musique est assez prête, il est temps de se tourner vers les salles de concerts. Cela nécessite alors des compétences de communication, de diffusion et de production : CD enregistré en studio, teaser vidéo, photos et visuels, listes de diffusion, démarchages, rencontres et négociations, recherches de financement… Pour se développer, il faut une structure juridique : association loi 1901 en état de marche en ordre de bataille qui s’occupera des démarches administratives et comptables.

Mars 2020, la crise arrive. Pour cause de télétravail, il faut investir dans des caméscopes, à défaut de caméras, se former tant bien que mal au montage vidéo et s’essayer au concert filmé. En parallèle, il faut s’atteler à la rédaction de nombreux dossiers artistiques pour finalement effectuer des résidences de répétition ou de création dans des lieux qui, à défaut d’accorder des financements, soutiennent en mettant à disposition des espaces de travail.
Les musiques d’ensemble deviennent des solos, les formes déambulatoires se transforment en formes fixes, les concerts acoustiques deviennent des spectacles audiovisuels. L’angoisse est là, les maux de ventre aussi.

Et puis finalement la crise me fige… Des questions qui m’habitent depuis plusieurs années finissent par resurgir.

Comment se fait-il qu’il est si difficile de vendre des concerts de musiques populaires non soumises au divertissement, si chaleureuses dans leurs mélodies et dans leurs danses ?

Comment se fait-il qu’il est si difficile de vendre des concerts de musiques créatives empreintes de cultures camerounaises, si profondes dans leurs expérimentations rythmiques ?

Toujours est-il qu’aujourd’hui, en tant que musicien bercé par les luttes pour une société créative, multiculturelle et artistiquement audacieuse, je me sens bien loin du grand Art et de ses divines créations.